Je suis une putain
de féministe
Les rumeurs de
quelque incident à la Foire à l'autogestion entre le Strass ( Syndicat du
travail sexuel) et ZéroMacho ont pu parvenir aux oreilles de certain-e-s.
Méconnaissant ces derniers j'ai donc consulté leur site internet, je découvre
alors leur communiqué, « La violence jusqu'où ? », daté du 13
juin à ce sujet. Et après cette lecture, je me dois de leur décerner le prix du
n'importe quoi rhétorique :
« Alors qu'un jeune homme vient d'être tué à Paris pour
ses idées, quelles conclusions tirer de ce nouvel incident
violent ? »
Puisque l'on nous enjoint à tirer des conclusions, constatons
d'abord que l'emphase de cette interrogative est proprement irrespectueuse.
Instrumentaliser la récente mort de notre camarade Clément pour servir une
argumentation où ils seraient les victimes d'un prétendu ordre fasciste de
« soutiens de la prostitution » est irrévérencieux autant qu'absurde.
En matière de récupération politicarde ils ne sont pas les premiers,
malheureusement. Mais revenons au fond de leur discours : à lire leur
manifeste, nulle part n'est fait mention d'un lien, direct ou non, avec
l'autogestion, sauf à considérer que la masturbation en fasse partie. Leurs
projets politiques s'appuient sur des revendications qui s'en remettent aux
« pouvoirs publics » afin de lutter contre « le système
prostitueur », c'est très insuffisant comme réponse politique, mais des
légalistes on en a vu d'autres. Enfin, leur discours se clôt :
« Quelle Europe allons-nous construire ? », ils se reconnaissent
dans une Europe, en tant qu'internationaliste cela me laisse coite, mais il y a
mieux. Ce regroupement politique semble se présenter comme des hommes, très
divers, unis par une fierté : ne pas être « client », certains
ont d'ailleurs fait acte de repentance et ne le sont plus. Ces nobles coeurs
défendent ainsi les victimes de la traite, mais surtout les malheureuses
égarées dans cette mauvaise vie afin de les sauver d'elles-mêmes. Des
féministes on vous dit ! Qui parlent vaillamment à la place des
concerné-e-s, parce que Eux ils ont compris ce qu'il fallait faire pour une
société débarrassée de la prostitution. L'Etat, l'Europe, la Loi, vont tout
faire pour que les dominations cessent, en particulier celle-ci où les abus de la police, bras armé du Capital, sont si rares. Il suffit de faire des petites
actions abolitionnistes, et ceux qui osent la masturbation verront un soleil
glorieux s'élever à l'horizon.
Les anarchistes
s'accordent communément sur la nécessité de lutter contre toutes les formes de
domination et font des sans-voix leurs compagnes et compagnons de lutte.
N'ayant pas la vocation d'être une avant-garde éclairée, nous sommes opposés à
l'idée de représenter celles et ceux qui luttent contre l'injustice sociale.
Nous ne volons pas leur parole, nous soutenons leurs voix, ne pourchassant pas
celles-ci, dans un but électoraliste. Nous souhaitons voir le développement de
structures auto-organisées, autogérées, permettant une solidarité de classe dans
les luttes contre l'oppression. Et pour les soutenir, nous devons d'abord nous
défaire de nos a priori, ne pas projeter sur l'autre nos propres conceptions
sur une situation que l'on ne vit pas. Or, toutes ces personnes qui vivent du
travail sexuel, sont sans cesse renvoyées à cette image d'éternelles paumées,
toujours victimes, jamais que des putes. Mais ces êtres humains, même victimes
de la traite, doit-on les enfermer dans des cases, les stigmatiser ? Personne se définit uniquement par son
travail, personne n'a vocation à être dépossédé de tout, même de sa capacité
d'assumer un choix de vie. Lorsque l'on veut faire disparaître légalement la
prostitution alors que les causes de son existence ne sont pas changées, c'est
parce que cela dérange. Les prostitué-e-s dérangent, on voudrait qu'elles
n'existent pas et comme pour cela il faudrait que l'oppression patriarcale et
salariale disparaissent, on fait comme si les lois ne faisaient pas plus de
victimes. C'est ainsi qu'on laisse au ban des luttes, celles et ceux qui sont
déjà criminalisé-e-s par la société. En oubliant qu'une personne stigmatisée
est toujours moins écoutée, on perd de vue notre éthique. En voulant faire
passer en force des lois répressives, faisant de la prostitution la proie d'une
précarité et d'un isolement médical et social accrus, on sacrifie sur l'autel
du Principe des générations de prostitué-e-s. Les incidences concrètes de
l'action des abolitionnistes sont d'une gravité néfaste, il n'y a qu'à
voir les soutiens de Médecins du monde pour
s'en persuader, à contre-courant des hygiénistes, moralistes,
« maternalistes » et autres gens de principes.
Au début des luttes
contre l'Ordre moral, les féministes clamaient « Toutes
prostituées ! » et marchaient main dans la main avec celles-ci,
qu'elles aient choisi ce travail ou non. Aujourd'hui c'est la double
peine : dès qu'elles s'organisent pour plus de droits et de
reconnaissance, qu'elles soient chinoises à Belleville, escort girl (ou boy),
on leur tourne le dos, pire on les traite comme si c'était une affreuse erreur
dans l'Histoire du féminisme, ce sont des ennemi-e-s, avec pour projet de
construire un Empire Prostitueur, une espèce de Super Proxénète. Alors certes
les syndicats sociaux-traîtres existent, on l'a vu avec l'accord inique ANI,
mais un syndicat autogéré composé des concerné-e-s peut difficilement être taxé
de maquereau. Quelle idée saugrenue de s'allier entre exploité-e-s pour gagner
des luttes, améliorer ses conditions de travail et donc de vie, pour,
finalement, avoir d'avantage le choix de sa condition ! Aussi, ne nous
trompons pas d'ennemi-e-s, et pour le dire avec Emma Goldamn :
« Le problème ce n'est pas la prostitution, mais la
société elle-même, ce système injuste porté par la propriété
privée. »
Marine, groupe Marx' Sisters and Brothers, Montreuil
Marine, groupe Marx' Sisters and Brothers, Montreuil
on sacrifie sur l'autel du Principe et de la moral des générations de prostitué-e-s. tout a fait d'accord !!! Bravo !!! papillon
RépondreSupprimerExcellent article que j'ai repris sur l'En Dehors : http://endehors.net/news/je-suis-une-putain-de-feministe
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