dimanche 14 juillet 2013

Un article du dernier Monde Libertaire de cet été : Je suis une putain de Féministe.



Je suis une putain de féministe


  Les rumeurs de quelque incident à la Foire à l'autogestion entre le Strass ( Syndicat du travail sexuel) et ZéroMacho ont pu parvenir aux oreilles de certain-e-s. Méconnaissant ces derniers j'ai donc consulté leur site internet, je découvre alors leur communiqué, «  La violence jusqu'où ? », daté du 13 juin à ce sujet. Et après cette lecture, je me dois de leur décerner le prix du n'importe quoi rhétorique :

«  Alors qu'un jeune homme vient d'être tué à Paris pour ses idées, quelles conclusions tirer de ce nouvel incident violent ? »

Puisque l'on nous enjoint à tirer des conclusions, constatons d'abord que l'emphase de cette interrogative est proprement irrespectueuse. Instrumentaliser la récente mort de notre camarade Clément pour servir une argumentation où ils seraient les victimes d'un prétendu ordre fasciste de « soutiens de la prostitution » est irrévérencieux autant qu'absurde. En matière de récupération politicarde ils ne sont pas les premiers, malheureusement. Mais revenons au fond de leur discours : à lire leur manifeste, nulle part n'est fait mention d'un lien, direct ou non, avec l'autogestion, sauf à considérer que la masturbation en fasse partie. Leurs projets politiques s'appuient sur des revendications qui s'en remettent aux « pouvoirs publics » afin de lutter contre « le système prostitueur », c'est très insuffisant comme réponse politique, mais des légalistes on en a vu d'autres. Enfin, leur discours se clôt : « Quelle Europe allons-nous construire ? », ils se reconnaissent dans une Europe, en tant qu'internationaliste cela me laisse coite, mais il y a mieux. Ce regroupement politique semble se présenter comme des hommes, très divers, unis par une fierté : ne pas être « client », certains ont d'ailleurs fait acte de repentance  et ne le sont plus. Ces nobles coeurs défendent ainsi les victimes de la traite, mais surtout les malheureuses égarées dans cette mauvaise vie afin de les sauver d'elles-mêmes. Des féministes on vous dit ! Qui parlent vaillamment à la place des concerné-e-s, parce que Eux ils ont compris ce qu'il fallait faire pour une société débarrassée de la prostitution. L'Etat, l'Europe, la Loi, vont tout faire pour que les dominations cessent, en particulier celle-ci où les abus de la police, bras armé du Capital, sont si rares. Il suffit de faire des petites actions abolitionnistes, et ceux qui osent la masturbation verront un soleil glorieux s'élever à l'horizon.
   Les anarchistes s'accordent communément sur la nécessité de lutter contre toutes les formes de domination et font des sans-voix leurs compagnes et compagnons de lutte. N'ayant pas la vocation d'être une avant-garde éclairée, nous sommes opposés à l'idée de représenter celles et ceux qui luttent contre l'injustice sociale. Nous ne volons pas leur parole, nous soutenons leurs voix, ne pourchassant pas celles-ci, dans un but électoraliste. Nous souhaitons voir le développement de structures auto-organisées, autogérées, permettant une solidarité de classe dans les luttes contre l'oppression. Et pour les soutenir, nous devons d'abord nous défaire de nos a priori, ne pas projeter sur l'autre nos propres conceptions sur une situation que l'on ne vit pas. Or, toutes ces personnes qui vivent du travail sexuel, sont sans cesse renvoyées à cette image d'éternelles paumées, toujours victimes, jamais que des putes. Mais ces êtres humains, même victimes de la traite, doit-on les enfermer dans des cases, les stigmatiser ?  Personne se définit uniquement par son travail, personne n'a vocation à être dépossédé de tout, même de sa capacité d'assumer un choix de vie. Lorsque l'on veut faire disparaître légalement la prostitution alors que les causes de son existence ne sont pas changées, c'est parce que cela dérange. Les prostitué-e-s dérangent, on voudrait qu'elles n'existent pas et comme pour cela il faudrait que l'oppression patriarcale et salariale disparaissent, on fait comme si les lois ne faisaient pas plus de victimes. C'est ainsi qu'on laisse au ban des luttes, celles et ceux qui sont déjà criminalisé-e-s par la société. En oubliant qu'une personne stigmatisée est toujours moins écoutée, on perd de vue notre éthique. En voulant faire passer en force des lois répressives, faisant de la prostitution la proie d'une précarité et d'un isolement médical et social accrus, on sacrifie sur l'autel du Principe des générations de prostitué-e-s. Les incidences concrètes de l'action des abolitionnistes sont d'une gravité néfaste, il n'y a qu'à voir  les soutiens de Médecins du monde pour s'en persuader, à contre-courant des hygiénistes, moralistes, « maternalistes » et autres gens de principes.
   Au début des luttes contre l'Ordre moral, les féministes clamaient « Toutes prostituées ! » et marchaient main dans la main avec celles-ci, qu'elles aient choisi ce travail ou non. Aujourd'hui c'est la double peine : dès qu'elles s'organisent pour plus de droits et de reconnaissance, qu'elles soient chinoises à Belleville, escort girl (ou boy), on leur tourne le dos, pire on les traite comme si c'était une affreuse erreur dans l'Histoire du féminisme, ce sont des ennemi-e-s, avec pour projet de construire un Empire Prostitueur, une espèce de Super Proxénète. Alors certes les syndicats sociaux-traîtres existent, on l'a vu avec l'accord inique ANI, mais un syndicat autogéré composé des concerné-e-s peut difficilement être taxé de maquereau. Quelle idée saugrenue de s'allier entre exploité-e-s pour gagner des luttes, améliorer ses conditions de travail et donc de vie, pour, finalement, avoir d'avantage le choix de sa condition ! Aussi, ne nous trompons pas d'ennemi-e-s, et pour le dire avec Emma Goldamn :
«  Le problème ce n'est pas la prostitution, mais la société elle-même, ce système injuste porté par la propriété privée. »  

Marine, groupe Marx' Sisters and Brothers, Montreuil

2 commentaires:

  1. on sacrifie sur l'autel du Principe et de la moral des générations de prostitué-e-s. tout a fait d'accord !!! Bravo !!! papillon

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    1. Excellent article que j'ai repris sur l'En Dehors : http://endehors.net/news/je-suis-une-putain-de-feministe

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